Enfant de Nîmes je suis.

Enfant de Nîmes je suis.  Du Mont Duplan ou du Mont Margarot, cela dépendait des jours et des copains fréquentés, toute la famille vivait dans le quartier rue de Soissons au numéro 7. Mon oncle Louis travaillait à la mairie de Nîmes comme Huissier de protocole, habillé comme un gardien de musée, tiré à quatre épingles et képi vissé sur la tête, toute une époque que les moins de cinquante n’ont pas connu. Les jours de corrida il plaçait ces messieurs, comme on disait alors, à la présidence des arènes. Présidence, qui à cette période des années soixante recevait sur la tête, les mauvais jours de corrida, tomates, œufs pourris et j’en passe. Aux abris vite, assis sur les marches de ladite présidence je me réfugiais sous les arènes au quatrième galop. Un autre temps, j’avais 10 ans.

Mon oncle Louis m’emmenait à La CORRIDA…. (en Dauphine verte)

Toro, Toro, Mira mi! Enfant de 10 ans j’appelai dans mes rêves ou encore dans mes jeux, ce toro imaginaire pour une véronique improbable dans la profondeur de ma cape improvisée par un chiffon rouge. Avec mes copains du quartier je devenais alors, le Cordobès, le Viti ou Diego Puerta voire Paco Camino.  Dans mon attitude d’enfant je répétais inconsciemment ce que je voyais aux arènes, la grâce du beau geste, maîtriser la charge du toro, baisser la tête du toro, avoir le sens du combat et de défier le destin…

Mais voilà, je ne serai jamais torero, j’acquiesce tous mes regrets, tous mes délicieux regrets et j’abandonne mes rêves d’une illusion que jamais je n’effleurerai, celle de torero, j’étais plus doué pour le foot.

En même temps, même quand on est jeune, comment ne pas s’interroger sur la beauté d’un rituel qui implique un sacrifice ?  Comment un torero peut-il mettre en danger sa vie dans un art éphémère? Comment la beauté peut-elle s’affronter avec la mort? Toutes ces questions nourrissaient mon imaginaire d’adolescent.

Bien des années plus tard, je compris que c’était là tout le mystère de la corrida…  qui appartient, il est vrai, aux arts populaires. C’est de la poésie, une poésie qui impose son rythme, sa musique propre, pour faire naître ce qu’en Espagne on appelle le duende, cette libération du geste absolu, cette apparition imprévisible de la grâce, au plus près du péril et de la peur.

Pas de technique particulière pour faire apparaître le duende. Il n’y a qu’à l’attendre. Quand il ne vient pas, la corrida et son rituel peuvent être d’un mortel ennui. Quand il est là, c’est la chose la plus importante. Il provoque une émotion, un effroi et un enthousiasme qui restent dans la mémoire des hommes pour la vie. Les aficionados qui l’ont connu sont encore capables, bien des années plus tard, de l’évoquer entre eux, de le revivre comme si l’instant était gravé à jamais dans leur mémoire ou encore mieux de le transmettre aux plus jeunes.

Je suis venu, pendant de longues années et par tous les temps, attendre sur ces gradins de pierre que se passe ce je ne sais quoi, qui enflamme nos âmes et salue l’éclat fugitif de la beauté d’une voix étranglée…  Olé !

J’ai toujours 10 ans, je suis Nîmois du Mont Duplan ou du Mont Margarot et je déplierai mon capote rose autant de fois qu’il ne faudra pour qu’un élan noir l’emporte, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point au milieu des toros… au milieu de mes rêves.

Patrick BRICONGNE

Président du club Taurin EL CAMPO
Vice président de la CCTNG