Café Toro – 4 février 2023

Compte-rendu du Café Toro

Anne Leché (El Ruedo) et Rudy Nazy (Chicuelo II)

Musique et Aficion : l’accord indispensable

Qui avait vraiment pensé jusqu’à ce samedi 4 février dernier, à questionner les chefs de musique qui officient sans cesse tout au long des corridas que nous suivons ? Nous en connaissons certains plus que d’autres, nous connaissons certains airs -plus que d’autres-, mais nous n’avions jamais eu l’occasion d’aborder avec eux leur façon d’accorder leur professionnalisme et leur aficion à los toros. Occasion nous en a donc été donnée grâce au café-toro du samedi 4 février qui s’est avéré très intéressant et très suivi. Au point de devoir faire cesser le débat pour cause de dépassement de l’horaire et des obligations des invités.
Ils étaient deux : Anne Leché, maestra de l’orchestre El Ruedo et Rudy Nazy le très connu chef de l’orchestre Chicuelo II. On l’écoute et on le voit dans de nombreuses arènes du sud-est, sud-ouest et d’Espagne ! Elle commença par être saxophoniste, lui trompettiste ; chacun s’adossa à des études musicales poussées, et après concours international ou conservatoire supérieur le monde taurin les absorba. Pour Anne Leché, c’est le Mundillo qui l’a gagnée «la passion du toro et de tout ce qui gravite autour est venu à moi », pour le gardois Rudy Nazy c’était quasi pré-déterminé «je suis né dedans». A 17 ans, il est déjà aux clarines, un peu avant que l’harmonie municipale d’Eyragues le récupère, puis la formation Chicuelo II, installée à l’époque au vomitoire 207. « Depuis, on a basculé en face pour une économie de 2 euros par place» glisse malicieusement, celui qui depuis 13 ans préside totalement aux destinées de sa formation, après avoir co-dirigé et succédé à Robert Marchand.
Au début, la musique des corridas fut militaire, se basant sur le fameux paso-doble (le pas redoublé) que Charles Quint Roi des Espagnes, mais Empereur romain germanique, dispensait de façon très rythmée et très martialement teutonne à ses troupes pour les faire avancer d’un bon pas. Rythme que les Espagnols surent atténuer et adoucir pour donner les paso-dobles plus ou moins suaves que nous connaissons. Puis de clubs en penas et en très officielles formations, il y a toujours eu de la musique pour accompagner les corridas et leur apporter ce que les deux intervenants reconnaissent comme un « supplément d’âme ».
Inscrite dans le règlement à l’article 39 du règlement taurin sous la sibylline phrase « Le président fera intervenir la musique suivant les us et coutumes de la Plaza considérée ». La musique est donc aux ordres de la présidence, ce qu’admettent les deux maestros, mais cela ne les empêche pas d’avoir leur opinion d’aficionado couplée à leur sensibilité musicale. Ainsi, sur injonction présidentielle l’un et l’autre vont obtempérer, mais en suivant leur propre inclinaison. Anne Leché prépare toujours plusieurs morceaux. « Lorsque j’ai connaissance du cartel tant pour les hommes que pour les élevages, j’établis une liste de 4 paso-dobles pour chacun des 6 toros, et pourtant il peut arriver que je change au dernier moment, par rapport au déroulement de la lidia ». pour «pouvoir « faire jouer celui qui s’adapte au mieux à la situation dans le ruedo », car « ce qui est essentiel c’est ce qui se déroule en bas à l’instant T».
Et Rudy Nazy renchérit en expliquant qu’il agit de même. Vigilants, toujours un œil sur la piste et un sur leur formation, le maestro doit être réactif, lever la baguette si le torero est désarmé, savoir la reprendre avec douceur pour continuer d’accompagner avec plus ou moins de bienveillance un novillero ou un torero confirmé. Certains demandent même des morceaux bien précis, sur lesquels ils s’entraînent, et ce dans la recherche de l’osmose d’un moment.
Anne Leché et Rudy Nazy constatent une évolution de l’utilisation de la musique qui les laisse dubitatifs : un besoin de plus en plus marqué de masquer très vite et trop longtemps des moments de faenas ennuyeux. S’il ne se passe rien au centre, la musique n’arrange rien. Et à l’inverse si un combat intense, peu esthétique, mais profondément taurin se déroule, pourquoi envoyer la musique qui déconcentre tant le public que le torero ? La seule liberté donnée au chef de musique est le déclenchement de la musique pour un torero-banderillero (il faut savoir attendre s’il y aura 3ème, voire 4ème paire), ou une petite ligne musicale un peu en sourdine pour souligner une belle pique.
Tout autant indispensables au déroulé d’une corrida que les areneros ou le public, les musiciens sont à écouter et à regarder avec attention et reconnaissance.